Covid-19 et fermeture des frontières dans l’UE : quelles possibilités juridiques ?

Auteur : Didier GirardDroit communautaire – Droit constitutionnel – Droit des collectivités locales – Droit public des affaires – Droit public général

Suite à l’allocution du Président de la République du 16 mars 2020 et afin de limiter la propagation du Covid-19, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian a annoncé, dans un communiqué de presse, la fermeture des frontières extérieures de l’espace européen.

Ainsi, les citoyens français et les ressortissants de l’Union européenne, de l’espace Schengen et du Royaume-Uni sont autorisés, avec leur conjoint et leurs enfants, à entrer sur le territoire national afin de rejoindre leur domicile. En revanche, les ressortissants des pays tiers, quant à eux, ne pourront plus entrer en France pour les 30 jours à venir, sauf exception – par exemple s’ils sont titulaires d’un titre de résidence permanent en France. Le transit vers un autre État de l’Union européen est cependant possible dans certains cas.

Certains seraient également favorables à la fermeture des frontières nationales à l’intérieur même de l’Union européenne.

1. Fermeture des frontières : que prévoient les accords Schengen ?

Ces mesures ont été adoptées dans le cadre de l’article 77 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui rend cette dernière compétente pour déterminer « les contrôles auxquels sont soumises les personnes franchissant les frontières extérieures (…), les conditions dans lesquelles les ressortissants des pays tiers peuvent circuler librement dans l’Union pendant une courte durée ». Le Protocole n° 19 audit Traité codifie certains éléments de l’acquis de Schengen.

Depuis les accords de Schengen, les frontières intérieures (terrestre, portuaires et aéroportuaires) de l’Union peuvent être franchies en tout lieu, librement, sans qu’un contrôle des personnes soit effectué ; inversement, les frontières extérieures sont l’objet de contrôles systématiques conformes à un standard commun.

Il était prévu, dès l’origine, une clause de sauvegarde permet un rétablissement temporaire des contrôles aux frontières ou toute mesure nécessaire (article 2). Cette clause est désormais codifiée aux articles 25 à 35 du règlement européen du 9 mars 2016.

L’article 25 de ce règlement précise :

« En cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre dans l’espace sans contrôle aux frontières intérieures, cet État membre peut exceptionnellement réintroduire le contrôle aux frontières sur tous les tronçons ou sur certains tronçons spécifiques de ses frontières intérieures pendant une période limitée d’une durée maximale de trente jours ou pour la durée prévisible de la menace grave si elle est supérieure à trente jours. La portée et la durée de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures ne doivent pas excéder ce qui est strictement nécessaire pour répondre à la menace grave. »

Dans un tel cas, il suffit de notifier aux autres pays membres que des mesures exceptionnelles sont prises.

2. Des contrôles temporaires aux frontières, pas une première

Des contrôles temporaires ont, dès lors, été remis en place pour des motifs de sécurité ou d’ordre public. Par exemple, la vérification des passeports aux frontières intérieures de l’espace Schengen a ainsi été réintroduite par l’Allemagne, lors de la coupe du monde de football en 2006, par l’Autriche à l’occasion de l’Euro 2008 et la Pologne pour l’Euro 2012, par la France après les attentats de novembre 2015 et pour la COP 21 en décembre de la même année, et enfin par de nombreux États en raison de la crise migratoire débutée à l’été 2015.

Cependant, la Cour de justice de l’Union européenne exerce un contrôle sur les mesures qui sont prises par les États membres pour limiter la liberté de circulation au sein de l’espace Schengen. Ainsi, elle a rappelé que

« les mesures justifiées pour des raisons d’ordre ou de sécurité publics ne peuvent-elles être prises que si, après une appréciation au cas par cas de la part des autorités nationales compétentes, il s’avère que le comportement individuel de la personne concernée représente actuellement un danger réel et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Lors de cette appréciation, ces autorités sont en outre tenues de veiller au respect tant du principe de proportionnalité que des droits fondamentaux de l’intéressé et, en particulier, du droit au respect de la vie privée et familiale. » (CJCE, n° C-371/08, 8 décembre 2011, Nural Ziebell c/ Land Baden-Württemberg).

Il apparaît ainsi que cette clause de sauvegarde ait davantage été envisagée dans son esprit dans un but sécuritaire (risques de nature criminelle ou terroriste) plutôt que sanitaire. La lettre des traités (article 78 § 3) autorise l’adoption de mesures provisoires de bref terme en la matière et la formation la plus solennelle de la Cour de justice a admis cette interprétation et cette possibilité (CJUE, Grande chambre, 6 septembre 2017, République slovaque et Hongrie contre Conseil de l’Union européenne, n° C-643/15).

Toutefois, s’il a été admis des mesures provisoires, la question du terme de celle-ci est clairement posée. Or, les modalités de sortie de l’état de crise actuelle sont inconnues. Et c’est là ou se trouve la difficulté juridique : si des mesures provisoires sont possibles, la fermeture pérenne des frontières extérieures ou intérieures n’aurait pas de base légale.

La difficulté de la sortie de cette situation résulte donc en ce que la proportionnalité des mesures restrictives étant une condition de leur compatibilité avec le droit de l’Union, il sera requis de les levers au fur et à mesure de la levée du risque sanitaire.

D’un point de vue économique, une fermeture totale (des personnes, des marchandises et des services) des frontières françaises n’est pas envisageable. En effet, la France dépend énormément des échanges avec l’étranger (biens, matières premières…). En outre, selon le Parlement européen, la fermeture des frontières intérieures de l’Union européenne pourrait entraîner des coûts estimés entre 100 et 230 milliards d’euros sur 10 ans et entraver les déplacements transfrontaliers de 1,7 million de personnes (étude de 2016).

Pour le moment, le Gouvernement français n’a pas annoncé ni même envisagé de mesures relatives à la fermeture totale des frontières nationales.