Chers Maires nouvellement élus : attention à la prise illégale d’intérêts !

Auteurs : Aude Duchange et Rémi-Pierre DRAI ⎢ Contentieux administratif , Droit de la presse et médias, Droit immobilier, Droit pénal des affaires, Droit privé général, Droit public général

Mesdames, Messieurs les Maires,

Après une campagne électorale éprouvante, parfois houleuse, votre liste vient d’être fraichement élue en tant que majorité et vous venez d’être nommé Maire par le conseil municipal, parvenant ainsi à remporter cette première victoire.

Si ce mandat débute dans des circonstances, certes, très particulières tenant à une situation sanitaire inédite, il n’en demeure pas moins qu’il vous revient désormais de mener à bien vos objectifs dans l’intérêt général de la commune.

En tant qu’édile, vous allez devoir prendre de nombreuses décisions au nom de la commune, parfois seul, en fonction des pouvoirs qui vous ont été délégués par le conseil municipal et notamment la décision de nommer des agents administratifs à divers postes de la collectivité.

C’est précisément sur ce point que nous entendons vous interpeler car nombre de maires se sont retrouvés mis en cause dans une procédure pénale pour avoir nommé une personne qu’ils estimaient qualifiée et compétente pour un poste mais qui, malheureusement, justifiait d’un lien personnel avec eux.

Ces faits sont, en effet, susceptibles de caractériser le délit de prise illégale d’intérêts, réprimé à l’article 432-12 du Code pénal et aux termes duquel :

« Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction. »

Ainsi, concernant une décision de nomination d’un agent municipal, un maire peut donc être poursuivi du chef de prise illégale d’intérêts dès lors qu’il désigne à un tel poste un conjoint, un membre de sa famille ou encore un ami proche et ce, alors même qu’il n’en retire aucun avantage concret.

C’est ce qu’a rappelé récemment la Cour de cassation dans deux décisions riches d’enseignement :

1. Arrêt rendu le 26 novembre 2019 (n° 18-87.046)

Un maire a été reconnu coupable du délit de prise illégale d’intérêts pour avoir renouvelé le contrat de travail de son épouse en qualité de secrétaire de mairie en remplacement de la titulaire.

La Cour de cassation a, ainsi confirmé la décision d’appel précisant qu’il était indifférent que ce contrat de travail ait d’abord été conclu par un centre de gestion dès lors que c’est bien le Maire actuel qui a pris les dispositions nécessaires à son renouvellement.

De surcroit, la Chambre criminelle a également indiqué que, dans de telles circonstances, la caractérisation de la prise illégale d’intérêts ne supposait pas de justifier le défaut de qualification de l’agent ou encore qu’il s’agissait d’un emploi fictif.

Ainsi, dans cette décision, peu importe que l’épouse du Maire exerçait ses fonctions depuis un certain temps de manière non fictive et qu’elle soit compétente et qualifiée pour ce poste, la simple décision de la nommer comme agent administratif d’une collectivité suggère l’octroi d’un avantage moral.

Rappelons également qu’il est de jurisprudence constante qu’il n’est pas nécessaire que l’intérêt pris par l’auteur de l’infraction soit en contradiction avec l’intérêt communal.

2. Arrêt rendu le 4 mars 2020 (n° 19-83.390)

Un maire a été déclaré coupable du chef de prise illégale d’intérêts pour avoir nommé sa sœur en tant que Directrice Générale des Services, alors qu’il avait la surveillance des opérations de nomination en ayant notamment participé activement au processus de recrutement (sélection des candidats, membre du jury de recrutement passant les entretiens et participation au vote de ce dernier) mais également en signant personnellement les arrêtés municipaux de nomination de sa sœur.

Ainsi, la Cour de cassation a rappelé que le lien familial existant entre un frère et une sœur constituait nécessairement un intérêt moral, permettant de justifier d’un avantage quelconque tel qu’exigé par l’article 432-12 du Code pénal.

En outre, il importe peu que le maire se soit soumis aux règles de recrutement selon les dispositions applicables dès lors qu’il est intervenu à tous les stades de ce processus ayant abouti au recrutement d’un membre de sa famille, quelles que soient les compétences professionnelles de cette dernière.

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Par conséquent, il convient d’être prudent dans les décisions que vous prendrez dans le cadre de vos fonctions électives, la nomination d’un agent administratif pouvant sembler une décision de moindre importance mais qui peut vous conduire devant le Tribunal correctionnel…

A noter également que ledit agent pourra être poursuivi du chef de recel de prise illégale d’intérêts.

Comme vous pourrez le constater au regard de la jurisprudence actuelle, le délit de prise illégale d’intérêts ne suppose plus nécessairement de justifier d’un abus de fonction de l’agent ainsi nommé et l’antériorité d’un poste ne protège pas plus cet employé.

Evitez tout risque de poursuite dont tout administré pourrait se saisir et n’hésitez à nous demander conseil lors de la nomination d’un agent ayant un lien affectif avec vous.

A défaut nous vous défendrons avec dévouement devant le tribunal correctionnel…