Auteur : Jean-Baptiste BLANC | Droit constitutionnel – Droit des collectivités locales – Droit fiscal- droit public des affaires- Droit public général- Finances publiques | Membre du groupe de réflexion de l’Assemblée des départements de France, Vice-Président du Vaucluse.
La crise sans précédent du COVID-19 a conduit à deux phénomènes d’une ampleur inédite depuis l’après-guerre : la crise du système de santé français et l’arrêt brutal peut-être mortel de l’économie. La stratégie de confinement global a été la plus mauvaise solution excepté toutes les autres permettant d’éviter l’explosion du système de santé et l’inflation de la mortalité résultant de la contagion accélérée provoquée par les porteurs asymptomatiques du virus. Elle a résulté de l’incapacité dissimulée par un refus dogmatique de décider la généralisation du port d’un masque, d’un testage et d’un traçage de chaque français afin d’isoler les seuls porteurs du virus.
Comme cela est souligné dans de très nombreuses chroniques, cela est le surtout le résultat d’une absence de prévision de l’Etat qui rappelle l’Etrange Défaite de 1940 relatée par Marc BLOCH. Chacun en tirera à ce titre les conséquences qu’il souhaite. Mais cette situation a de toute évidence été aggravée par une perpétuelle approche centralisatrice inefficace de nos gouvernants et plus que jamais une absence de décentralisation que laisse apparaître l’abîme sanitaire entre la France et l’Allemagne (5 fois moins de morts grâce notamment à la souplesse donnée à un système sanitaire fédéralisé qui permet aux Landers de mettre les moyens nécessaires pour que les villes disposent d’hôpitaux correctement équipés ; grâce aussi aux 300 Districts de région qui ont été rapidement équipés d’un à deux centres de tests, souvent sous forme de Drive In, pour accueillir les patients signalés par la médecine de ville).
Fort de ces maux français connus par tous, il est évident qu’un déconfinement raté serait fatal pour notre pays et ce d’autant qu’il est totalement vain d’attendre une quelconque immunité de groupe. De toute évidence, un tel échec ne peut être évité que par un déconfinement accompagné d’une politique systématique visant à tester automatiquement ou au moins par sondage permettant de se concentrer ensuite sur les noyaux d’infection puis à tracer les contacts des porteurs du virus ainsi identifiés, et enfin de mettre en quarantaine les porteurs du virus y compris bien sûr les asymptomatiques.
Cette politique ne peut réussir que si elle est menée localement par une coopération innovante entre élus locaux et représentants de l’Etat. Ainsi ce déconfinement ne peut-il s’envisager qu’avec une nouvelle déconcentration de notre système de santé et une réelle décentralisation de crise pour réussir finalement le seul objectif qui vaille : la surveillance de la circulation virale. Qui par suite permettra un déconfinement pragmatique à la carte pour sortir de la staticité de l’action publique face à l’extrême mobilité du virus et aux risques forts de rebonds dans les prochains mois.
Outre l’impérieuse et urgentissime reconstitution des stocks de masques et l’achat de respirateurs artificiels réellement adaptés, outre aussi l’urgente mobilisation de la médecine de ville et de 2 l’abolition des frontières publiques et privées du système de santé français, deux politiques publiques sont donc à mettre en œuvre sans délai autour d’une chaîne administrative et politique souple de décisions pour tester réellement, enfin tracer et mieux isoler, un triptype absolument indissociable pour sortir de cette crise.
1. La déconcentration managériale de l’urgence du système de santé français autour des préfets de département et d’un référent COVID-19
Il est acquis que le virus n’est pas stable que nul n’en connaît son profil si ce n’est qu’il est déroutant, déconcertant et certainement séquentiel. Pour en finir avec le puzzle sanitaire administratif (on ne citera que le cas absurde du comité d’animation du système d’agences trop nombreuses, à la vision uniquement budgétaire et financière, n’ayant jamais été des pivots territoriaux mis en place par le décret du 20 novembre 2017 et qui n’a jamais fonctionné) et l’engorgement mortel des hôpitaux français, il convient d’envisager sans délai :
- Une simplification du mille-feuille administratif par la mise en place d’un réseau-sentinelle et une autonomisation d’unités médicales déconcentrées sans intermédiaires contreproductifs : l’action des ARS reproduisant les lourdeurs administratives du ministère de la santé et étant trop éloignées des réalités et dont les résultats sont insuffisants (notamment en matière de dépistage), doit ainsi être repositionnée à l’échelle départementale, où un référent COVID19 pourra agir de concert avec le préfet du département, le président du conseil départemental et les maires.
Par voie de conséquence, le ministère doit se recentrer sur ses missions régaliennes (fixation des normes, investissements publics immédiats pour des équipements modernes, hygiène des bâtiments sanitaires, réquisitions…) et déléguer l’opérationnel à ces quatre acteurs de terrain sous l’égide des préfets départementaux.
- Une digitalisation de l’action publique sanitaire départementale par le Référent COVID-19 en liaison permanente avec un référent-sondage et statistiques sérologique qui établira une carte exacte de circulation du virus, sa densité et sa prévalence, qui permettra de connaître le degré de diffusion silencieuse passée par des tests anticorps en sondages également, de décider sur la base de ces données statistiques, ce qui permettra la surveillance des résurgences éventuelles et d’agir ponctuellement et efficacement.
- Concomitamment une départementalisation des tests à partir des laboratoires départementaux en partenariat avec les pôles hospitaliers respectifs, en l’espèce 200 000 dosages par campagne correctement échantillonnés en 5 jours et au terme un testage de l’ensemble des français qu’ils soient symptomatiques ou asymptomatiques.
- Ainsi, un déconfinement à la carte par département avec en cas de résurgence une mise en place de micro confinements en fonction du lieu de vie du virus pour ne plus pénaliser les territoires où la circulation virale est moindre. A ce titre, il pourra être aussi employé la méthode de la réduction des groupes de vie pour combattre l’effet de chaque contaminant géolocalisé et ses risques de résurgence.
- L’édiction de mesures administratives barrière pour empêcher les allées et venues aggravantes d’un territoire à l’autre.
Notre profil épidémique ressemble à celui de la Lombardie où l’épidémie a 10 à 15 jours d’avance sur nous. Si son plateau actuel de nouveaux positifs ne s’est pas effondré le 30 avril prochain, il ne sera pas possible de prédire la queue d’épidémie et il faudra à ce titre reporter le déconfinement annoncé du 11 mai prochain et non pas vivre une situation de confinement multi-différencié kaléidoscopique qui serait inapplicable par les différents acteurs.
2. Une réelle décentralisation en urgence du système de santé français autour de la chaîne des élus locaux
La santé n’est plus seulement une affaire de l’Etat et il est grand temps de prendre acte que tout ne se décrète plus rue de Varenne et que les décisions doivent être adaptées à la réalité des territoires par ceux qui les connaissent le mieux et sont les plus légitimes.
Il convient de laisser les acteurs locaux prendre leurs propres décisions, sélectionner les meilleures pratiques selon la réalité statistique du virus établie par le Référent COVID-19 et ainsi ne plus laisser mourir économiquement les nombreux territoires qui ne sont pas frappés avec la même intensité par le virus.
A l’instar de l’Allemagne, il est précisément prouvé que la gestion différenciée entre territoires ne préjudicie pas à la gestion de la crise et encore moins à l’unité nationale.
- Ainsi la situation sanitaire, économique et sociale de notre pays appelle sans délai des décisions locales parfaitement subsidaires des décisions nationales. Le tout en s’appuyant sur une performance territoriale nouvelle autour de binômes régions/départements, régions /communes, départements/communes, dont la répartition des compétences (économique pour les régions, sociale, sanitaire et solidaire des départements, générale et de police pour le bloc communal) a largement prouvé son efficacité et qu’il s’agit d’amplifier.
- A cela, il appartiendra à la collectivité qui a le territoire le plus vaste de prendre le chef de filat et de coordonner la politique publique afférente avec une obligation d’information réciproque et de liaison avec l’Etat et le public.
- Concomitamment, il convient d’assouplir temporairement la loi NOTRE du 7 août 2015 qui fixe la répartition des compétences évoquées. Dans ce contexte de crise sanitaire historique, il convient que les régions et les départements puissent pendant un an prendre toutes dispositions dans le cadre de leurs compétences respectives sur leur territoire dans le respect des règles sanitaires et de santé et complémentaires des aides nationales, le tout en respectant les principe d’égalité, de non-discrimination et d’aide aux personnes de bonne foi et aux activités légales.
- A titre complémentaire, les collectivités locales non chefs de file doivent pourvoir également prendre des mesures locales qu’elles estiment appropriées dans le respect des mêmes principes en complément de celles attribuées aux échelons supérieurs. Naturellement ces aides doivent être justifiées par des circonstances locales (structure de la population, situation territoriale, utilité et proportionnalité de la mesure selon des critères définis par la collectivité elle-même). Etant entendu que toutes les collectivités locales pourront participer au financement de ces aides quelles qu’elles soient.
- Par ailleurs, et pour la même durée d’un an, les assemblées compétentes doivent pouvoir décider à titre correctif ou préventif de l’exonération totale ou partielle d’impôts locaux ou de la part concernée à des personnes physiques ou morales ayant subi les conséquences du COVID-19.
- De même, elles doivent pouvoir décider d’éventuels reports des mises en recouvrement de toute imposition locale dans la limite de 3 ans, en respectant les principes d’égalité, de nondiscrimination étant entendu que ces délibérations ne sauraient s’appliquer aux personnes en situation irrégulière au regard de ces dispositions.
- Il peut être envisagé à cet égard que le Comité des Finances Locales ainsi que la Conseil des Prélèvements Obligatoires remettent à ce titre un rapport semestriel d’évaluation de ces dispositifs.
- Enfin, les élus locaux doivent pouvoir de façon temporaire adapter les normes. En l’état, conformément aux principes du droit public applicable au COVID-19, le Premier ministre prend les mesures réglementaires d’ordre national, les préfets les adaptent ou dérogent selon les textes et les maires n’ont qu’un pouvoir subsidiaire qui n’a vocation à s’appliquer qu’en cas de carence de l’Etat ou de circonstances locales particulièrement graves.
- La proposition est la suivante : à titre temporaire, pendant une période de 6 mois à compter de la levée de l’état d’urgence sanitaire, le maire pourra prendre toute mesure de police administrative nécessaire et proportionnée en complément des mesures adoptées par l’Etat, étant entendu que ces mesures municipales ne pourront qu’aggraver les mesures de police supérieures et l’arrêté devra être motivé.
- De la sorte, le maire, après avis favorable et conforme du préfet et compte tenu des circonstances locales, peut adopter toutes mesures d’allègement du dispositif national.
- De même, le préfet de région, de département ou le maire peuvent décider pour une durée de 24 h renouvelables que le franchissement d’une limite administrative régionale, départementale, ou communale peut donner lieu à un contrôle de police administrative.
- Concernant le micro-confinement, le préfet de département ou le maire, après avis du référent du COVID-19, peuvent décider du confinement d’un ensemble de personnes en raison d’un risque sanitaire particulier dans des conditions plus strictes que celles en vigueur sur le territoire national. Cet arrêté est motivé, il ne peut excéder 14 jours, il est notifié aux personnes intéressées par tous moyens. L’autorité précise les modalités selon lesquelles la collectivité assure le ravitaillement de ces personnes ainsi que les modalités suivant lesquelles les services publics et opérateurs privés peuvent continuer à délivrer les prestations commandées. Ces arrêtés peuvent être déférés au juge des référés (L521-2 CJA). A défaut de décision dans un délai de 48 h, le litige est transmis au Conseil d’Etat qui statue dans un délai de 48 h. A défaut de jugement, la mesure est suspendue.
- Le référent départemental COVID-19, le président du conseil départemental, le maire peuvent aussi recommander aux autorités mentionnées au point précédent d’opter des mesures de confinement qu’ils estiment nécessaires. Le référent est consulté pour avis lorsqu’il n’est pas à l’initiative de ces mesures.
Même si chacun est conscient de l’ampleur et de la complexité du défi que nous devons collectivement relever, il n’est ainsi plus possible de tâtonner et il est grand temps de prendre avec sang-froid les mesures qui s’imposent ne fussent-elles pas dans la tradition administrative ou culturelle de notre pays.
L’objectif absolu est d’éviter ces rebonds du virus qui seraient fatals à l’économie française et aux territoires outre la confiance de nos concitoyens envers l’ensemble de ses dirigeants qui serait définitivement perdue.
Sauver des vies et relancer l’activité économique est donc possible si la gestion du déconfinement est allégée dans sa déconcentration avec un Etat coordinateur et renforcée dans sa décentralisation avec des collectivités locales régulatrices et correctrices.
Il est plus que jamais grand temps de mettre en place une coalition innovante entre l’Etat et les collectivités locales.
Nous n’avons plus de temps à perdre.
Pour des questions relatives au droit public, n’hésitez pas à nous contacter.