Tourisme et jurisprudence : Les voyageurs bénéficient-ils de nouveaux droits ?

Auteur : Laurie COMERRO |  Droit commercial et des sociétés- Droit de l’immobilierDroit de la construction- Droit des assurances

A l’heure où nombre d’entre nous procèdent aux annulations et demandes de remboursements des divers week-ends et vacances prévues, souvent d’ailleurs à l’occasion des ponts de mai, il est toujours intéressant de suivre les jurisprudences de la Cour de Cassation et de la CJUE en matière de droit des voyageurs.

1. Prolégomènes sur l’article L 211-14 II du Code de Tourisme

Avant d’évoquer les quelques arrêts intéressants rendus ces derniers mois en la matière par les hautes autorités, il n’est pas inutile, au milieu de cette pandémie de rappeler les dispositions de l’article L211-14 II du Code du Tourisme, lequel dispose :

II.- Le voyageur a le droit de résoudre le contrat avant le début du voyage ou du séjour sans payer de frais de résolution si des circonstances exceptionnelles et inévitables, survenant au lieu de destination ou à proximité immédiate de celui-ci, ont des conséquences importantes sur l’exécution du contrat ou sur le transport des passagers vers le lieu de destination. Dans ce cas, le voyageur a droit au remboursement intégral des paiements effectués mais pas à un dédommagement supplémentaire.

En l’espèce, il ne fait aucun doute que la pandémie actuelle et la situation sanitaire, qui ont conduit tant à la fermeture des frontières qu’à l’immobilisation de flottes entières de compagnies aériennes, seront considérées comme une circonstance exceptionnelle et inévitable au sens du texte, si la jurisprudence devait avoir à se prononcer.

Dès lors, il ne devrait pas y avoir de difficultés à obtenir le remboursement des billets et ou prestations de voyages qui devaient avoir lieu durant cette période.

Il sera par ailleurs précisé qu’en application de l’ordonnance n°2020-315 du 25 mars 2020 dans sa version consolidée au 31 mars 2020, le législateur permet aux voyagistes, par dérogation au dernier alinéa de l’article L211-14 II ci-avant cité, de proposer un avoir en lieu et place d’un remboursement dans le cas d’une résolution du contrat notifiée entre le 1er mars 2020 et le 15 septembre 2020, et ce en informant le voyageur sur support durable au maximum 30 jours après la résolution du contrat.

C’est également l’occasion de mentionner deux décisions intéressantes rendues en matière de droit des voyageurs par les instances suprêmes.

2. Sur l’étendue de l’obligation d’information pesant sur le voyagiste

Tout d’abord, il est intéressant de mentionner un arrêt rendu par la Cour de Cassation le 8 janvier 2020 (Civ 1ère, 8 janvier 2020, n°18-21.746) lequel retient la responsabilité contractuelle d’une agence de voyage sur le fondement du non-respect de l’obligation d’information imposée par l’article L 211-8 du Code du Tourisme dans sa rédaction antérieure à la transposition de la directive du 25 novembre 2015 relative aux prestations de voyage.

En effet, si la rédaction désormais en vigueur de l’article L 211-8 du Code du Tourisme est plus précise quant à l’étendue de l’obligation d’information qui pèse sur le prestataire, sa version laconique applicable aux faits du litige pouvait, comme dans le cas d’espèce, nécessiter une interprétation, puisqu’il disposait sommairement :

« Le vendeur informe les intéressés, par écrit préalablement à la conclusion du contrat, du contenu des prestations proposées relatives au transport et au séjour, du prix et des modalités de paiement, des conditions d’annulation du contrat ainsi que des conditions de franchissement des frontières ».

En l’espèce, un couple avait acquis, auprès d’un voyagiste, un séjour clé en mains en Inde.

Or à son arrivée à l’aéroport le jour du départ, le couple de touristes s’est vu refuser l’embarquement au motif qu’ils ne disposaient pas de visa pour l’Inde.

Déboutés en première instance au motif que le voyagiste démontrait, par l’envoi d’un SMS renvoyant vers un lien donnant accès aux informations sur le voyage en cause, le parfait respect de son obligation d’information telle que prévue par le texte, le couple de touristes formait un pourvoi.

La Cour de cassation casse le jugement de première instance par un motif dont la rédaction claire et précise ne peut souffrir aucun débat :

« Qu’en statuant ainsi, alors qu’il incombait à l’agence voyage de rapporter la preuve qu’elle avait, préalablement à la conclusion du contrat, délivré l’information relative au franchissement des frontières, le Tribunal d’instance a violé les textes susvisés ».

Les arguments du voyagiste selon lesquels les requérants ne démontraient pas n’avoir pas reçu le sms ou que le lien contenu dans celui-ci ne fonctionnait pas n’ont pas emporté la conviction de la Cour.

Toutefois, et si on peut féliciter la Cour de Cassation de tenter de définir au mieux ce que doit être contenue dans l’obligation d’information pesant sur le voyagiste, une telle décision dédouane totalement le consommateur de l’obligation de se renseigner sur la nécessité d’un visa, a fortiori quand il s’agit de la destination finale.

3. Sur la possibilité d’une nouvelle indemnisation en cas de retard du vol de remplacement et la notion de circonstances extraordinaires

La deuxième décision intéressante a été rendue par la CJUE le 12 mars 2020 (CJUE, 12 mars 2020, aff. C-832/18, A e.a. c/ Finnair Oyj), sur saisine des juridictions finlandaises.

Suite à l’annulation d’un vol direct entre Helsinki et Singapour, des passagers ont été réacheminés sur un même trajet mais avec escale.

La compagnie FINNAIR était en charge du vol de réacheminement sur la première partie du trajet.

Or, sur ce vol de réacheminement, les passagers ont subi un retard de plus de trois heures à l’arrivée.

Outre le remboursement du premier trajet, lequel n’a relativement pas posé de difficultés même s’il n’a pas été offert spontanément par la compagnie, les passagers ont sollicité l’application du règlement européen CE 261/2004 en raison du retard de plus de trois heures à l’arrivée dudit vol de réacheminement.

La compagnie aérienne a refusé l’indemnisation au double motif que d’une part ledit règlement ne prévoyait pas de double indemnisation et d’autre part que l’indemnisation n’avait pas vocation à s’appliquer dans la mesure où la raison du retard était due à des circonstances extraordinaires, à savoir la défaillance d’une pièce qui n’est remplacée qu’en raison de la défaillance d’une pièce précédente et appelée « on condition ».

La CJUE répond de la manière suivante à ces deux questions :

  • Dans la mesure où le règlement dont s’agit est taisant sur la situation et en tout état de cause ne l’exclut pas et que les conditions d’application de l’indemnisation sont réunies, rien ne s’oppose à ce que les passagers bénéficient du droit à indemnisation sur le vol de réacheminement.
  • Pour que des événements soient qualifiés d’extraordinaires, ainsi de nature à priver les voyageurs de leur droit à indemnisation, deux conditions cumulatives doivent être remplies :
  • Ils ne doivent pas, par leur nature ou leur origine, être inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné ;
  • Ils doivent échapper à la maîtrise effective du transporteur.

La CJUE considère en l’espèce que les conditions ne sont pas remplies et ce dans la mesure où la défaillance d’une pièce dite « on condition », que le transporteur s’est préparé à changer en conservant toujours une pièce de rechange en stock, constitue un événement qui, par sa nature ou son origine, est inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur et n’échappe pas à sa maîtrise effective.

La seule option pour échapper à son obligation d’indemnisation consisterait en la démonstration par la compagnie aérienne que la défaillance de la pièce a été causée par une défaillance intrinsèque de l’appareil, ce qui ne semble pas être le cas en l’espèce.

Là encore, il est possible de se satisfaire de cet arrêt qui permet de soulever des incertitudes dans l’applicabilité des dispositions et du régime d’indemnisation des passagers aériens prévus par le règlement CE 261/2004.

Il appartiendra dès lors aux transporteurs aériens d’être vigilants et diligents dans les choix de vols proposés aux passagers en cas d’annulation du premier vol afin de leur assurer les meilleures conditions d’acheminement possible.

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Notre cabinet accompagne les voyagistes organisateurs, détaillants et clients dans le cadre de ce contexte sanitaire, en particulier dans l’application des textes Covid 19, telle que l’ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure.