Didier Girard – Droit communautaire – Droit constitutionnel – Droit de l’urbanisme – Droit des collectivités locales – Droit fiscal- Droit public général- Marchés publics– Droit public des affaires
Telle une œuvre majeure de Shakespeare, le Brexit a donné lieu à des coups de théâtre, des surprises, des contretemps, des tragédies pour finalement se mettre en place laborieusement à compter du 31 janvier 2020…
S’il y a bien quelque chose de pourri au Royaume de Danemark, surtout en ce qui concerne les négociations commerciales et institutionnelles futures, le Brexit a également des effets induits sur toutes les branches du droit des États membres. Le droit des mandats électoraux n’y échappe pas.
On sait que, depuis le Traité de Maastricht du 7 février 1992, les citoyens d’un État membre de l’Union européenne sont électeurs et éligibles aux élections européennes et locales dans toute l’Union.
Pour les élections européennes, cela a levé la restriction géographique selon laquelle on ne pouvait être élu au Parlement européen que dans l’État dont nous avions la nationalité. Ainsi, un Français peut être élu à Malte… ou un Letton l’être au Portugal. La fin des mandats des députés européens élus au titre du Royaume-Uni et la modification de la composition du Parlement ont été prévus par les textes. Même si une forme de mise en scène a été opérée[1], sur le plan juridique les choses sont connues[2].
Pour les élections locales, c’est plus complexe, car chaque État membre dispose de sa propre organisation constitutionnelle interne et, en conséquence, de sa propre définition du terme « local ». En France, ce sont les élections municipales qui ont été principalement ouvertes[3] aux citoyens européens avec toutefois des limitations propres aux fonctions exécutives et aux fonctions d’électeur sénatorial.
Le Brexit, par sa brutalité, a mis en lumière certains éléments notre conception du mandat électoral.
1. Les citoyens membres des états de l’UE éligibles en France aux conseils municipaux
Seuls les citoyens français peuvent être électeurs et éligibles aux différentes élections politiques dont les élections municipales. Par exception, et pour mettre en œuvre les stipulations du Traité de Maastricht, l’article L.O.228-1 du code électoral autorise néanmoins les citoyens des États membres de l’Union européenne autres que la France à être éligibles aux conseils municipaux. Ces dispositions ont été mises en application à compter des élections de 2001.
Dans notre système politique et juridique, lorsqu’un citoyen est élu, son mandat est définitivement acquis et ne peut être remis en cause que par le juge de l’élection[4] ou par la loi[5].
Au cas particulier d’une inéligibilité qui surviendrait en cours de mandat, le code électoral prévoit des possibilités de démission d’office qui mettent un terme immédiat au mandat. Les articles L.230 et L.236 permettent ainsi que le préfet prononce la démission d’office des personnes qui deviennent inéligibles, car privés du droit électoral[6].
Les articles L.230, L.O.230-2, L.231, L.263 et L.O.236-1 du code électoral prévoient expressément les cas de démission d’office d’un conseiller municipal. La compétence préfectorale est ici liée[7]. Or, cette liste est limitative et, sauf démission volontaire des intéressés, les élus continuent à exercer leur mandat jusqu’à leur terme.
Cependant, la jurisprudence n’admet pas que soit prononcée la démission d’office d’un élu lorsqu’une inéligibilité est découverte en cours de mandat lorsque celle-ci existait au jour du scrutin[8].
2. Les citoyens britanniques privés du droit électoral en théorie
En toute logique, les citoyens britanniques sont désormais privés du droit électoral depuis le 1er février et auraient dû, en conséquence, être tous déclarés démissionnaires d’office de leurs mandats locaux. Sauf que la pratique des applications de l’article L.230 du code électoral concernait soit l’application du droit pénal[9], soit celle du régime des incapacités civiles. Une application inédite de ce texte, bien que conforme à la lettre de la loi, aurait été contraire à son esprit.
Ainsi, selon un avis du Conseil d’État, non publié et non rendu public au motif qu’il nuirait aux négociations post-Brexit (sic)[10], dont cependant le Gouvernement n’hésite pas à se prévaloir[11], les citoyens britanniques ayant la qualité d’élus locaux à la date du Brexit pourraient conserver leurs mandats jusqu’à leur terme[12].
Cette solution, pour anormale qu’elle puisse apparaître sur le plan politique n’est cependant nullement inédite.
3. Des élus en fonctions malgré un redécoupage territorial
En effet, dans la tradition française, les élus représentent la Nation dans son entier ou, pour les collectivités territoriales, les administrés dans leur intégralité. Ce choix implique que si un redécoupage territorial est opéré alors, sauf texte contraire, les élus demeurent en fonctions. Il n’existe de dérogation à ce titre qu’en vertu des dispositions spéciales propres aux sections électorales[13], aux communes associées et déléguées[14] ou à des collectivités à statut dérogatoire[15]. Ainsi, H. Barkat-Gourat, élu le 22 septembre 1974 sénateur de la Côte-française-des-Somalis, est demeuré en fonctions jusqu’à sa démission le 30 juin 1980 alors même que Djibouti était devenue indépendante le 27 juin 1977.
C’est d’ailleurs pour mettre un terme à ce phénomène que, parfois, le législateur met lui-même un terme aux fonctions d’un élu avant le terme de son mandat du fait d’un changement politique majeur. Par exemple, l’article 1er de l’ordonnance n° 62- 737 du 3 juillet 1962 a mis un terme aux mandats des parlementaires élus dans les départements d’Algérie leur maintien n’aurait eu, politiquement, aucun sens. Au niveau national, les importantes modifications politiques donnent souvent lieu à des modalités particulières de renouvellement impliquant soit des élections anticipées, soit une prorogation des mandats.
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Le maintien des élus locaux de nationalité britannique n’a cependant qu’une importance réduite pratique dès lors que la règle du « fonctionnaire de fait » s’applique[16]. Mais en cas de faible écart de suffrages dans un très hypothétique scrutin interne au conseil municipal, tenu entre le 1er février et l’installation des nouveaux conseillers municipaux, cela pourrait avoir une incidence contentieuse.
On rappellera que les mandats d’élus municipaux ou communautaires s’achèvent lors de l’installation de leurs successeurs et donc entre le vendredi 20 mars 2020 et le dimanche 29 mars 2020[17], soit en réalité une période limitée de moins de 2 mois.
Autrement dit, le risque contentieux lié au maintien des élus britanniques demeurera théorique.
Didier Girard
[1] « Entre joie et larmes, le Brexit ouvre une nouvelle ère au Parlement européen », Radio France internationale, 30 janvier 2020.
[2] Décision n° 2018/937 du Conseil européen du 28 juin 2018 fixant la composition du Parlement européen.
[3] Le droit européen parle de « collectivité locale de base ». Cf. articles 2 a) et b) de la directive n° 94/80/CE fixant les modalités de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils n’ont pas la nationalité. En pratique, la France n’a ouvert ce droit que pour les élections municipales ou celles qui y sont assimilées.
[4] Protestation dirigée contre l’élection ou saisine dans le cadre de la législation sur le compte de campagne.
[5] CC, 29 novembre 1995, « Loi organique prise pour l’application des dispositions de la loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995 qui instituent une session parlementaire ordinaire unique », n° 95-367 DC.
[6] CE, 21 juin 1972, Luciani.
[7] CE, 15 avril 1996, Eproin.
[8] CE, 23 octobre 1970, Carpentier.
[9] Article 432-17 du code pénal.
[10] Cf. P. Roger, « Brexit : le Conseil d’État émet des réserves sur le projet de loi d’habilitation », Le Monde daté du 14 octobre 2018.
[11] Cf. en ce sens les travaux parlementaires dans le cadre de l’examen du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.
[12] Cf. L. Poniatowski, Rapport de la commission spéciale sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, not. p. 20.
[13] Cf. l’ancienne rédaction de l’article L.273-7 du code électoral avant l’entrée en vigueur de la loi 2013-403 qui a abrogé ce dispositif.
[14] Articles L.254, L.255-1 et L.261 du code électoral.
[15] Notamment les villes de Paris, Lyon et Marseille.
[16] CE, 27 octobre 1961, Commune du Moule.
[17] Article L.2121-7 du code général des collectivités territoriales.