Non, inutile d’insister : tout ne se régularise pas !

Auteur : Didier Girard | Droit communautaire – Droit constitutionnel – Droit de l’urbanisme – Droit des collectivités locales – Droit fiscal – Ddroit public des affaires – Droit public général – Marchés publics


Les affaires Bayrou, de Rugy, de Sarnez, Delevoye, Goulard, etc…ont ceci en commun qu’elles se fondent, pour partie du moins, sur un élément transcendant tous les clivages des hautes sphères politique et administrative françaises : une croyance, tenace, selon laquelle toute irrégularité commise dans la sphère du droit public peut être régularisée a posteriori.

Par cette régularisation, forme de Deus ex-machina moderne, le manquement à une obligation juridique pourrait donner lieu à une « absolution » à l’égard de manquements à la loi et la situation rétablie. L’Histoire de la Ve République en comprend de trop nombreuses illustrations.

Il est vrai que cette posture est implicitement encouragée par la jurisprudence contemporaine du Conseil d’État qui a tendance à admettre de manière accrue une tolérance sur des vices ou des illégalités considérées comme secondaires. Le Parlement agit également en ce sens par de multiples texte dont le dernier avatar est la création d’un « droit à l’erreur » (sic) par la loi du 10 août 2018.

La réalité est beaucoup plus complexe et si le respect de la loi demeure la règle, il ne faut voir dans les possibilités de régularisation ou de correction qu’une simple exception qui ne peut être entendue que strictement comme il est d’usage en droit.

Croire que le droit n’est qu’un point secondaire, ou facultatif, ne peut que conduire qu’à des déconvenues qui peuvent être importantes.

Certains manquements à la légalité ne sont jamais régularisables a posteriori

Ainsi, la violation de la loi pénale (commission des infractions de favoritisme, de détournement de fonds publics, de fraude fiscale ou financière, de corruption, etc.) ne peut donner lieu qu’à une régularisation avant la commission de l’infraction. Il vaut mieux abandonner une procédure de concession car celle-ci est illégale que la maintenir à tout prix si elle favorise illégalement un candidat. Il ne faut d’ailleurs pas omettre que dans certains cas, la loi peut incriminer une simple tentative, même non suivie d’effets.
Le remboursement des fonds détournés, une déclaration d’intérêts tardive ne saurait « annuler » l’infraction qui a été commise et consommée. Cela peut cependant influencer la réponse pénale (peine plus légère, alternative aux poursuites, etc.).

Il en est de même pour ce qui est des manquements à la légalité financière. Une qualification de « comptable de fait » ou de mise en débet par une Chambre régionale des comptes ne peut se régulariser totalement. La « régularisation » consistant à dispenser une personne de rembourser tout ou partie de sommes irrégulièrement employées ou dues ne peut se justifier que pour d’impérieuses motivations tirées de l’intérêt général ou de l’espèce considérée[1]. Estimer, comme cela est trop fréquemment le cas, que cette remise gracieuse est un « droit acquis » est non seulement une erreur mais souvent un abus… lui-même parfois sanctionnable.

La violation des règles générales du droit public sanctionnée

La violation des règles générales du droit public est normalement sanctionnée par l’annulation des actes en cause ainsi que par un éventuel engagement de la responsabilité publique.

Pendant longtemps la jurisprudence administrative la plus classique considérait que, sauf exception tirée de la configuration du litige (opération complexe, détachabilité des conclusions, possibilités d’annulation partielle, etc.), toute illégalité impliquait l’annulation. Cette solution booléenne a souvent été critiquée du fait de sa rigueur et ce, en particulier, à raison de la multiplication des textes de formes et de fond encadrant l’action publique.

On relèvera, à cet égard, que le juge admet assez largement la régularisation des vices fondés sur l’illégalité externe d’un acte par la réitération formelle d’une nouvelle décision adoptée suivant les formes requises

Il en est résulté un paradoxe : au fur et à mesure que le Parlement conférait de nouveaux droits en vue de protéger les administrés, le juge et l’administration -débordés- ont eu tendance à montrer une certaine bienveillance à l’égard des illégalités les moins « graves »[2].

La jurisprudence Danthony[3] en autorisant la non-sanction de certaines illégalités permet un certain confort à l’administration qui peut ainsi ne procéder à certaines démarches ou formalités qu’en cas de contentieux ou a posteriori parfois contra legem.

Ces solutions, qui se veulent pragmatiques, ont toutefois une malheureuse tendance à faire croire qu’une illégalité n’est pas forcément « grave ». Qu’une décision, une procédure ne soient pas intégralement annulées car un élément formel (et objectivement sans incidence de fond) a été entaché d’une irrégularité peut se comprendre (sur un plan pratique du moins) ; mais il y a un degré qui est fréquemment franchi qui est celui-ci de croire que presque tout se « Danthonyse ».

Il convient de rappeler que la jurisprudence Danthony n’a vocation à s’appliquer qu’aux procédures préalables, les questions liées au fond du droit en sont donc exclues. De plus, dès lors qu’une garantie est en cause ou que la formalité méconnue a exercé une influence sur la décision, il n’est -fort heureusement- plus possible de faire jouer cette exception.

Autrement dit, partir du principe que, dans la pire des cas, il pourrait toujours être invoqué la jurisprudence Danthony en cas de contentieux ne peut que conduire à de graves déconvenues.

Droit public et régularisation

Perversion suprême, le droit public peut prévoir lui-même des procédures de régularisation assorties d’éventuelles « pénalités ».

Tel est notamment le cas en matière fiscale ou les omissions déclaratives peuvent presque toujours être rectifiées, dans le délai de prescription, mais assorties, le cas échéant, de majorations ou de pénalités diverses (en particulier les fameux « 10 % » pour retard qui peuvent se cumuler avec des intérêts de retard).

Un raffinement supplémentaire est même présent dans le cadre du contentieux de l’urbanisme où il est désormais admis que l’administration peut être invitée par le juge à régulariser ses propres erreurs (on se demande d’ailleurs si le cadre de l’excès de pouvoir est encore adapté à ce contentieux puisqu’en plein contentieux l’administration peut voir sa décision modifiée directement par le juge).

Le summum de cette évolution résulte de la loi du 10 août 2018[4], instaurant un « droit à l’erreur », qui conforte cette compréhension biaisée alors qu’elle est plus nuancée. Ce droit à l’erreur ne s’applique que dans certaines matières et surtout exclut les cas de « fraude » et de « mauvaise foi ». Autrement dit, systématiser le droit à se tromper résulte d’une erreur !

***

En réalité, le respect du droit demeure une exigence fondamentale dans notre système juridique et la seule voie permettant de limiter le risque contentieux demeure l’anticipation.

Celle-ci peut résulter d’une analyse préalable du droit afin d’avoir une action conforme au cadre juridique ce qui est la solution idéale et conforme à la notion même d’État de droit.

À défaut, le respect du fond du droit ne saurait être discuté, car si la plupart des vices tirés de la légalité externe peuvent se régulariser (par réitération d’une procédure ou d’une formalité), une illégalité interne ou la violation des règles d’ordre public (dont la loi pénale) ne se régularisent point.

***

Pour en savoir plus sur nos compétences en droit public et droit des collectivités locales, contactez-nous ici.

 

[1]   Article 60 de la loi n° 63-156 de finances pour 1963 (https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?idArticle=LEGIARTI000030966198&cidTexte=LEGITEXT000006068231).

[2]   B. Seiller, « Les validations préétablies, stade ultime du déréglement normatif », AJDA 2005 p. 2384 (https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=AJDA/CHRON/2005/0528).

[3]   CE Ass., 23 décembre 2011, Danthony, n°335.033 (https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETATEXT000025041089).

[4]   Loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037307624).